Pendant longtemps, les économistes en sont restés au constat
qu’il faut combiner intelligemment des ressources (de la terre, des outils,
du travail, des techniques) pour produire.
Cette explication est dite endogène, en ce sens que ce sont des facteurs
économiques qui expliquent le développement économique. Il faut bien
constater qu’elle ne permet pas de comprendre l’inégalité du développement
dans le monde. Pour aller plus loin, il faut recourir à des explications
exogènes, introduire des facteurs qui ne sont pas purement économiques.
On se propose ici de présenter trois facteurs essentiels, sans prétendre
pour autant à l’exhaustivité.
La géographie intervient de plusieurs façons. Les pays enclavés ont en
général une croissance plus faible que les pays côtiers, surtout s’ils
sont de petite taille. Une étude de Harvard estime que les pays non
européens côtiers ont aujourd’hui des revenus triples de ceux des pays enclavés (2).
Ces différences renvoient évidemment au rôle des échanges. De manière plus
générale, l’éloignement par rapport aux principaux foyers de développement
peut rendre la croissance plus difficile en augmentant les coûts de
transport ou en réduisant la concurrence.
D’autre part, la configuration des territoires s’est révélée plus ou moins
propice à l’émergence d’entités politiques indépendantes. Par exemple,
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le relief et la forme de l’Europe ont facilité la constitution de plusieurs
Etats distincts, protégés par des frontières naturelles. Ailleurs, les
conditions géographiques ont été plus favorables à l’installation d’un
empire ou à l’émiettement et à l’instabilité politiques. La situation européenne
est la plus favorable au développement, car un Etat fort et stable est
essentiel, mais il faut aussi que son pouvoir soit limité. La concurrence entre Etats,
ou «pluripolitie», selon l’expression de Jean Baechler, joue ce rôle, car un
entrepreneur, un savant ou un inventeur persécuté par l’Etat pourra trouver
refuge dans un pays voisin. David Cosandey (3) cite l’exemple de l’inventeur
de la navette volante, pourchassé en Angleterre car son invention menaçait
l’emploi, qui trouva refuge en France où il put développer son procédé.
Enfin, certains pays disposent de ressources plus abondantes que d’autres. Cet
argument paraît évident, mais il est pourtant fragile. D’abord, parce qu’il est
facile de trouver des contre-exemples, de la réussite du Japon aux difficultés du
Congo. Ensuite, parce que des ressources naturelles vendables, si elles peuvent
enrichir provisoirement un pays, ne suffisent pas à mener au développement, comme
l'illustre le cas des pays pétroliers.
L’affectation efficace des revenus tirés de telles ressources n’est en effet
nullement évidente. Il est au moins aussi important
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que le climat et la terre permettent une agriculture relativement intensive,
source d’une forte densité de population favorable aux échanges et à la
division du travail. D’autres relations ont pu être observées : une
agriculture intensive en travail prépare aux exigences du travail industriel, la
maîtrise de l’eau dans les «civilisations hydrauliques» implique la cohésion d’un
effort collectif (riziculture asiatique, par exemple).
En revanche, l’hypothèse selon laquelle certains climats seraient «émollients» et d’autres
propices à l’effort (hypothèse qui peut rapidement dériver sur l’idée que
la paresse et l’insouciance expliquent le sous-développement!) a été testée, en comparant
distance à l’équateur et degré de développement, et écartée.
Le facteur géographique, conjugué aux accidents historiques, n’est donc pas négligeable,
surtout lorsqu’il s’agit d’expliquer les débuts de développement. Il est toutefois
probable que ce rôle soit moins important de nos jours, ne serait-ce que du fait des
changements techniques.
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