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Jean-Pierre Castel citant Le Secret de l'Occident, 2007, 2008) (raccourci), dans son livre électronique et papier La Mathématisation du Temps, publié les 18 avril et 30 mai 2024, co-écrit avec Jean-Claude Simard.

Jean-Pierre Castel, Jean-Claude Simard: La Mathématisation du Temps – de la science hellénistique à la science moderne, Presses de l'Université Laval, Québec (Canada), ISBN 978-2-7663-0389-2, EAN 9782766303892, 551 pages, 18 avril 2024 (pdf) et 30 mai 2024 (papier).

Copie de sûreté: juin 2024. Source.

Théorie du miracle européen

Cosandey







LIVRE

La mathématisation du temps

De la science hellénistique à la science moderne


par Jean-Pierre Castel et Jean-Claude Simard



Résumé No1

Après Zénon, Platon et Aristote s'étaient attaqués à l'énigme du mouvement, mais c'est au XVIIe siècle seulement qu'on put enfin la résoudre. Peut-on, comme Koyré, ramener cette révolution scientifique à la mathématisation de la nature ?

Archimède avait déjà mathématisé la statique, mais pour passer à la dynamique, il fallait étendre ce formalisme au temps, ce qui nécessitait le développement préalable de nouveaux concepts physiques, en particulier l'inertie.

Quelles furent, dans ce processus, les contributions respectives de Copernic, Kepler, Galilée et Newton, et d'un philosophe comme Descartes ? La conscience des heures égales, qui avait accompagné la diffusion des horloges mécaniques, a-t-elle joué un rôle dans la décision de prendre le temps comme variable ? Cette science moderne est-elle d'origine chrétienne, comme le prétendent Kojève et tant d'auteurs ? Qu'en est-il du monde arabe, de la Chine ?

Ces interrogations soulèvent bien des débats. En analysant le rôle fondamental, mais aujourd'hui encore méconnu, de la période hellénistique dans la genèse de la science moderne, et en examinant à nouveaux frais la découverte du principe d'inertie ainsi que sa relation au temps, cet ouvrage entend lever des malentendus persistants et proposer une vision plus juste de la révolution scientifique.



Résumé No2

Cet essai met d’abord en évidence l’origine hellénistique, archimédienne, puis marchande, via notamment le temps des marchands, de la science moderne, celle dont accoucha la Révolution Scientifique du XVIIe siècle, et qui, en permettant de passer de la statique archimédienne à la dynamique newtonienne, résolut l’énigme du mouvement.

Notre essai réfute d’abord la thèse de l’origine chrétienne de cette science moderne, thèse qui a pourtant pignon sur rue, tant chez les théologiens que chez les philosophes, les historiens, voire les psychanalystes, et même chez certains scientifiques contemporains : nous recensons à cet effet les différents arguments à l’appui de cette thèse, et en montrons le caractère erroné ou fallacieux.

Nous remettons ensuite en cause la caractérisation habituelle de la Révolution Scientifique par la mathématisation de la nature. En effet, Euclide avait déjà mathématisé l’espace et Archimède les masses.

Pour passer de la statique à la dynamique, c’était cette fois-ci non pas la nature, mais le temps qu’il fallait mathématiser.

Or une nouvelle conception du temps, un temps laïcisé, abstrait et uniforme, avait émergé dans les cités marchandes médiévales, concomitamment avec l’invention de la diffusion des horloges mécaniques. Et la découverte par Galilée du principe d’inertie avait alors fourni, via les mouvements inertiels, l’étalon d’un temps dès lors mesurable, et donc mathématisable.




Citations (boîteuses)

Les auteurs citent mon livre Le Secret de l'Occident, mais un peu de travers...

Les deux auteurs privilégient les causes politiques et économiques pour expliquer le progrès scientifique. Selon leurs dires, ils reprennent la thèse de Jean-Pierre Vernant sur le lien entre la naissance de la philosophie et la démocratie, et celle de Norbert Elias sur le lien entre le temps devenu une variable d'équation et et la nouvelle conscience du temps qui s'était développée dans les cités marchandes médiévales grâce aux horloges mécaniques.

Mais nos deux auteurs ne voient pas que la 2e idée (l'influence des marchands triomphants) représente précisément (une partie de) ma théorie méreuporique! (LSO p.231-235), quoique réduite à la portion congrue, puisque ne parlant que de l'aspect perception du temps.


En effet, ils écrivent... Je cite

P. 325, note 95 : Dans Le secret de l’Occident : vers une théorie générale du progrès scientifique (Paris, Flammarion, 2007), David Cosandey analyse les facteurs qui, selon lui, auraient favorisé le double surgissement, grec et moderne, de la science occidentale, un événement inégalé dans l’histoire mondiale. Les conditions qu’il énonce sont sans doute nécessaires, mais certainement pas suffisantes, dans la mesure où il omet la laïcisation de la pensée; sans doute parce que, comme la dimension religieuse, son antithèse, elle n’est pas réductible aux causes géographiques, géopolitiques ou économiques que privilégie son analyse (au contraire... la laïcisation de la pensée s'explique parfaitement par la montée en puissance des classes marchandes et militaires, comme expliqué en détail dans Le Secret de l'Occident.

P. 455 note 65: Pour les raisons déjà évoquées dans la section IX.4.5, nous ne reprenons pas ici les conditions géopolitiques et économiques proposées par Cosandey dans Le secret de l’Occident, op. cit. (au contraire, la thèse de l'influence de la classe marchande (les horloges mécaniques) occupe une place centrale dans les deux ouvrages)

Tout cela se trouve pourtant dans mon livre. Je cite (LSO2008, p.231-235):


Le soutien du commerce et des marchands au progrès scientifique

«Le marchand, même réconcilié avec l'Église, même admis dans la société traditionnelle, n'en est pas moins l'enfant terrible, le trublion. Il a une mentalité rationaliste d'organisateur méthodique, qui calcule, suppute, prévoit, explique tout par la raison ; il exige un enseignement bien différent de celui qu'on reçoit dans les écoles ou universités sous le contrôle des clercs. En particulier, il faut que ses enfants apprennent le calcul, une écriture nette et rapide, des langues vivantes et non plus le latin, des notions précises de géographie et de cartographie, non le fatras mal digéré des sommes antiques (1).»

{1. Robert Delort,
La Vie au Moyen Age (Paris, Seuil, 1982), version poche de La Vie au Moyen Âge: histoire illustrée de la vie quotidienne (Lausanne, Edita, 1972).}

L'essor économique a été fondamental pour l'épanouissement des sciences en Occident. Les marchands, banquiers et entrepreneurs triomphants ont invinciblement, bien qu'involontairement, poussé la civilisation occidentale vers la science moderne. Cette influence s'est exercée par d'innombrables canaux, dont je vais m'efforcer de présenter un tableau aussi clair et cohérent que possible.

Il y a d'abord un niveau psychologique. Au Moyen Âge, alors que les autres catégories professionnelles, les chevaliers, les moines, les paysans, se complaisaient dans le flou des épopées lyriques et des récits bibliques, les marchands se passionnaient au contraire pour le précis et le quantitatif. Seul le marchand s'acharnait à mesurer, à peser, à compter. Seul il poursuivait l'exactitude et s'exprimait en chiffres. Il s'intéressait aux connaissances appliquées et techniques, et non au savoir théorique et général qu'affectionnait l'Eglise. Il avait le sens du concret et non de l'abstrait, de la diversité et non de l'universel. Pragmatique, il se débarrassait volontiers de ses dogmes et préjugés si cela pouvait lui rapporter bénéfice. Le marchand mettait sans honte la main à la pâte, puisque c'était pour s'enrichir.

La classe mercantile était la seule des classes sociales médiévales (avec celle des combattants, nous y reviendrons) qui n'aspirait pas seulement à se reposer et à se divertir. Or l'acceptation du travail concret de la part de personnes travaillant aussi de leur cerveau est l'une des caractéristiques de la science expérimentale (1).

{1. «Il semble que personne n'ait pu dépasser cette opposition traditionnelle, que personne n'ait pu atteindre le point où la participation de la main et du cerveau devient égale, trait absolument nécessaire pour le travail scientifique, à l'exception de la classe marchande, là où elle imposa sa mentalité spécifique à la société environnante.» (Needham 1973, p.249).}

Derrière toutes ces attitudes, on sent pointer – même si la motivation restait purement pécuniaire – les éléments essentiels de l'esprit scientifique moderne : l'approche rationnelle, l'étude méthodique, l'amour de la mesure et des chiffres. On peut supposer sans peine qu'au fur et à mesure que les marchands et les banquiers se sont imposés à la société, par leur richesse et leur puissance, cette passion de l'exact, du quantifié et du labeur productif se soit répandue, créant un terreau favorable au développement des sciences.

Le sens du temps

Au contraire de ses contemporains peu pressés, le marchand du Moyen Âge se préoccupait du temps. Le temps lui était précieux. Le temps, c'était de l'argent.

« Quand je me lève le matin, écrivait en 1433 Leon Battista Alberti – jeune associé du marchand-banquier italien Francesco Datini –, la première chose que je fais est de me dire : de quoi dois-je m'occuper aujourd'hui ? Il y a tellement de choses à faire ; j'en dresse la liste, je réfléchis à chacune d'elles et à chacune j'assigne son temps. Je perdrais plus volontiers mon sommeil que mon temps, dans le sens du temps pour faire ce qu'il y a à faire. » Le jeune négociant ajoute que, dans la vie, il faut avant tout « regarder l'heure, répartir son temps, se consacrer à ses affaires, ne jamais perdre une heure (1).»

{1. D. Landes, Revolution in Time, Clocks and the Making of the Modern World, Harvard University Press, Cambridge, 1983, p. 91.}


Au XVIe siècle, alors que la date de naissance exacte d'Érasme, de Rabelais ou de Luther nous est inconnue, les marchands notaient le jour précis de leurs voyages, de leurs maladies, de l'anniversaire de leurs enfants. Pour accélérer les déplacements des marchandises et des personnes, pour réduire le temps (et donc l'argent) perdu en formalités, les négociants imposèrent des horaires : à Augsbourg, capitale des Fugger, les règlements postaux prévoyaient au XVIe siècle que le courrier pour Venise devait être remis avant huit heures le samedi, et le courrier retour avant douze heures.

Par son sens du temps, la bourgeoisie commerçante allait bouleverser complètement la société occidentale. Elle commença par imposer le début de l'année à date fixe, au 1er janvier. Auparavant, l'Église fixait le début de l'année de manière variable, entre le 22 mars et le 25 avril, à Pâques. Ce qui ne posait pas de problème à la population paysanne ou cléricale, mais contrariait les marchands et les banquiers, qui avaient besoin de régularité pour boucler leurs comptes et comparer leurs bilans d'une année à l'autre. C'est pourquoi ils voulurent, et obtinrent, vers la fin du Moyen Âge, qu'on fît débuter l'an chaque année au 1er janvier.

De façon semblable, les marchands imposèrent les heures constantes et universelles. Au Moyen Âge, on ne s'était guère soucié d'exactitude dans la chronométrie. On divisait la journée en douze heures, quelle que fût la saison. Avec la variation des journées au long de l'année, les heures se raccourcissaient à 40 minutes en décembre (en France), pour se dilater à 90 minutes en juillet. Cela ne dérangeait pas les villageois, qui vivaient au rythme du soleil, ni les gens d'Église, mais cela dérangeait les négociants et entrepreneurs, qui avaient besoin de connaître les vraies durées des heures pour leurs contrats, pour leurs voyages, pour planifier et rémunérer le travail de leurs ouvriers.

La bourgeoisie commerçante avait besoin d'une machine qui donnât la véritable avance du temps, indépendamment du soleil (comme les cadrans solaires) et sans le souci du gel (comme les clepsydres à eau). Pour cela, il lui fallait une nouvelle technologie.

C'est ainsi que le patriarcat urbain fut à l'origine du développement de l'horloge mécanique. Rapidement, les principales villes du commerce et de l'artisanat s'équipent du nouvel engin. Caen possède son « gros horloge » en 1314, Gand a le sien en 1324 et Amiens en 1335. Florence a son horloge à sonnerie automatique et régulière dès 1325, puis Padoue (1334), Milan (1335), Gênes (1353), Bologne (1356), Sienne (1359). Ce ne fut désormais plus sur la cloche de l'église que se régla la vie des gens, mais sur l'horloge communale, laïque. « À l'heure des clercs succédait l'heure des hommes d'affaires (1).»

{1 J. Le Goff, Marchands et banquiers au Moyen Âge, PUF, Que sais-je ?, Paris, 1986, p. 105.}

Ce passage aux heures égales, rationnelles, universelles voulu par les marchands fut, selon R. Delort, la grande mutation intellectuelle de la fin du Moyen Âge.

La perception plus aiguë du temps que les marchands allaient peu à peu imposer à toute la société, et dont nous avons déjà dit qu'elle ne provenait pas du christianisme, serait à long terme du meilleur effet pour la pensée scientifique, en particulier pour l'étude des lois du mouvement et l'astronomie. Au XVIIe siècle, les premières horloges, montres et chronomètres vraiment précis s'avéreront de la plus grande utilité aux savants dans leurs recherches.

Dans ce contexte, rien d'étonnant à ce que des marchands se retrouvent derrière les premiers traités d'histoire factuels et raisonnables de l'Occident. Ce furent des négociants qui commencèrent à écrire des exposés historiques et non des récits fabuleux comme les aimaient clercs et chevaliers. Les hommes d'affaires écrivaient volontiers l'histoire de leur ville, y mettant tout leur goût de la précision et de l'exactitude. Dans la Florence du XIVe siècle, l'historiographie était leur monopole. Au XVIIIe siècle, la tradition se poursuit, par exemple avec l'historien Edward Gibbon (1737-94) – auteur d'une célèbre
Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain –, qui était membre d'une richissime famille de négociants-banquiers britanniques.


Quant à l'émergence de la démocratie, elle a procédé en Grèce classique des mêmes causes que l'avance de la science (cf. LSO2008, p.587-588). Donc ce fut certes un phénomène voisin, mais sans causalité directe avec la science. La démocratie n'est pas nécessaire au progrès scientifique. Ainsi, le miracle grec a commencé nettement avant l'émergence de la démocratie. Et l'apogée de la science grecque s'est produit pendant l'époque hellénistique, quand la scène (scientifique aussi) était dominée par les grands royaumes lagides et séleucides, d'où la démocratie avait disparu.





Le projet:

L’essai est édité dans la collection Zêtêsis dirigée par Jean-Marc Narbonne, titulaire de la Chaire de Recherche du Canada en Antiquité Critique et Modernité Émergente et directeur du projet international de recherche Raison et Révélation : l’Héritage Critique de l’Antiquité. Le livre a pour auteurs un philosophe des sciences québécois, Jean-Claude Simard, et moi-même, que Jean-Marc Narbonne a réunis à cette occasion.


Jean-Pierre Castel

Polytechnicien, ingénieur au Corps des Mines, vice-président du Cercle Ernest Renan à Paris, d'éducation protestante, ayant mené une carrière industrielle, Jean-Pierre Castel travaille à titre personnel sur la violence monothéiste.

Il a publié:

–La mathématisation du temps: De la science hellénistique à la science moderne (Zêtêsis) (par Jean-Pierre Castel et Jean-Claude Simard), Presses Universitaires de Laval / Vrin, 30 mai 2024, 552 pages.

–La violence monothéiste : mythe ou réalité ?, éditions L'Harmattan, Paris, 01 février 2017.

–A l'origine de la violence monothéiste le dieu jaloux: L'introduction du vrai et du faux dans le domaine des dieux (Questions contemporaines), éditions L'Harmattan, Paris, 01 février 2017.

–Guerre de religion et police de la pensée : une invention monothéiste ?, éditions L'Harmattan, Paris, 31 octobre 2016, 226 pages.

–Science et religions monothéistes: L'inévitable conflit, éditions Berg, 17 septembre 2014,‎ 192 pages.

–Le déni de la violence monothéiste, éditions L'Harmattan, Paris, 1er septembre 2010, 374 pages.





Créé: 16 juin 2024 – Derniers changements: 02 juil 2024