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Une citation en mars 2013 de mon livre Le Secret de l'Occident (1997, 2007) par Guillaume Arnould de l'Ecole normale supérieure (ENS) Cachan à Paris, dans un article sur la divergence entre Occident et reste du monde du XVIIIe au XXe siècle.
(Guillaume Arnould: "La différenciation du développement et l'éclatement de la notion de tiers monde de 1945 à 1993: aspects économiques et sociaux", 12 mars 2013).

Copie de sûreté: mai 2013. Source.
Théorie du miracle européen
Cosandey






10:33 Écrit par Guillaume ARNOULD dans Histoire

La différenciation du développement et l'éclatement de la notion de tiers monde de 1945 à 1993: aspects économiques et sociaux

La grande divergence

La question des différences de développement apparaît avec la Révolution Industrielle : à la fin du XVIIIe siècle, l’Europe découvre/invente la croissance économique alors que le reste du monde ne connaît pas le même décollage. C’est «l’Expansion européenne» (Mauro).

Cette situation inédite va entraîner une partie du monde vers le développement càd des modifications sociales induites par la croissance (aspect qualitatif) ; alors que les pays non-européens vont stagner sur le plan économique. L’Europe va «décoller» mais pas la Chine, qui est pourtant le pays le plus peuplé et très avancé sur les plans scientifique et technique. Pour Pomeranz (2000) cette «grande divergence» s’explique par l’avance prise en Europe grâce à ses ressources géographiques (charbon et nouveaux territoires).

Pour Cosandey (1997) l’Europe doit également sa réussite à son territoire (il facilite les échanges) et à son organisation politique (frontières et concurrences entre Etats) : cela permet d’asseoir la révolution industrielle sur l’innovation scientifique et technique.

Enfin, Rosenberg & Birdzell (1987) considèrent également que l’organisation politique de l’Europe a favorisé l’émergence d’un esprit d’innovation : des petits pays décentralisés permettent à des idées nouvelles d’émerger et de se répandre. La question des institutions semble être une clé du développement.

L’impérialisme et le colonialisme

L’impérialisme consiste pour les grandes puissances industrielles à construire des empires basés sur la domination économique et sociale d’autres pays. Le colonialisme consiste à dominer juridiquement un autre pays.

Ce phénomène a plusieurs types de causes :

- la domination technique (ex : militaire)

- la pression démographique européenne

- le nationalisme (ex : inégalités des races)

- les débouchés économiques

Il va se traduire par un partage du monde entre quelques puissances européennes, puis par les Etats Unis et la Russie. Cependant l’impérialisme connaît deux grandes limites : il est politiquement injuste et économiquement peu efficace.

Marseille (1984) montre ainsi que l’Empire colonial français ne présentait pas réellement d’avantage économique car il ne favorisait pas la compétitivité mais au contraire les comportements rentiers. Waites (1999) généralise cette analyse aux empires européens.

Comme le souligne Etemad (2005) les empires ont soutenu la montée en puissance de l’Europe et sont donc à la fois sources de richesse et de puissance et des fardeaux, signes de déclin.

Q : le développement peut-il être compris par l’économie ?



I] L’émergence du Tiers Monde 1945-1973

Pour Bairoch (1997), c’est la guerre qui précipite les indépendances.

Aspects politiques

Dans la logique du monde bipolaire de la guerre froide, les pays doivent choisir leur camp. Cette dimension politique exclut une grande partie du monde pour qui le problème essentiel est la lutte contre la pauvreté et le rattrapage économique. Sauvy propose le terme de Tiers Monde pour qualifier ces pays par analogie avec le Tiers Etat de la Révolution française. Ce sont les pays qui n’ont pas connu l’industrialisation.

Le tiers monde est donc une notion géopolitique, ce qui va influencer les théories du développement économique et leur perception. Ainsi les pays du tiers monde vont chercher à s’organiser pour mettre en place leurs propres politiques de développement d’une part (ex : le groupe des pays non-alignés menés par l’Inde, l’Egypte et l’Indonésie) ; ou tout simplement lutter pour obtenir la décolonisation (qui a débuté au Moyen Orient dans les années 20 et qui durera jusqu’en 1975 pour l’Angola et le Mozambique).

Cependant cette vision politique masque les défis économiques auxquels le monde en développement doit faire face : Bairoch (1970) insiste, par exemple, sur les fortes différences démographiques, d’analphabétisme ou de revenu par habitant entre les pays du tiers monde.

On constate effectivement les caractéristiques économiques et sociales suivantes : les pays du tiers monde souffrent de nombreux déséquilibres.

- la croissance démographique est très forte : la natalité est en hausse et la mortalité baisse. De 1950 à 1975 la population asiatique s’accroît de 68 % ; africaine de 85 % et de 101 % en Amérique Latine

- la sous-alimentation, la faible scolarisation et les difficultés d’accès aux soins

- les inégalités sociales et de revenus, l’urbanisation anarchique et l’économie informelle

- l’agriculture est le secteur dominant des économies en développement, mais elle n’est pas exploitée de manière efficiente. Les pays du tiers monde exportent principalement des produits bruts dont la valeur est extrêmement volatile

- l’industrialisation reste rare et n’a pas assez d’effets d’entraînement sur le reste de l’économie

Stratégies de développement

La prise en compte des besoins des pays en développement s’incarne dans des stratégies institutionnelles et individuelles (voir II).

La coopération entre les pays développés et les pays du tiers monde passe par l’ONU. La CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le Commerce Et le Développement) a pour mission de promouvoir la croissance dans les « pays en voie de développement » le G 77. Elle permet d’obtenir une aide financière au développement (motivée par la géopolitique en général) et un système préférentiel au sein du Gatt : les pays industrialisés offrent des conditions unilatérales plus favorables aux PVD.

D’autres institutions de l’ONU vont chercher à favoriser le développement : la FAO (dans les domaines agricole et alimentaire) et l’OMS (pour la santé). Enfin le PNUD est créé en 1965 pour réaliser des analyses propres aux pays en développement : il développera notamment l’approche en termes de développement humain.

Par ailleurs, le FMI et la Banque Mondiale vont fournir des ressources financières au pays du tiers monde, en exigeant en contrepartie des efforts de libéralisation économique.

Latouche (1986) pose la question qui fâche : ces efforts d’adaptation à l’économie de marché vont-ils réellement améliorer le sort des pays en développement ? Rist (2007) montre que le développement est une idée occidentale qui n’a fait que légitimer l’évolution économique des pays du Nord et le modèle à suivre pour les pays du Sud.

Confirmation de cette approche par Chang (2007) : les pays industrialisés prônent le libre échange en théorie mais pratiquent en réalité le protectionnisme.



II] L’éclatement des Tiers Mondes 1973-1993

La fiction d’une unité du monde en développement disparaît avec la crise des années 70.

Le révélateur de la crise économique

Le choc pétrolier de 1973 et la crise qui en découle vont faire apparaître l’extrême diversité des pays en développement : la hausse des prix du pétrole va réduire les importations d’autres produits en provenance du tiers monde. Les politiques désinflationnistes menées dans les pays industrialisés vont rendre l’endettement des pays en développement insoutenable.

Dockès & Rosier (1988) soulignent les ambiguïtés de la notion de sous-développement face à cet éclatement du tiers monde et la difficulté à apporter une réponse unique tant sur le plan théorique qu’empirique.

Finalement, l’analyse du développement retourne à ses bases : North (2005) montre que le capitalisme ne peut fonctionner qu’avec des droits de propriété clairement établis càd avec des institutions efficaces. Confirmation par De Soto (2000).

Ce type d’approche avait été formulé de manière générale par Landes (1998) : la colonisation ou l’impérialisme ne sont pas responsables du sous-développement, ce qui est primordial c’est de disposer de « valeurs » qui permettent de s’adapter aux innovations techniques et qui favorisent l’accumulation de l’argent, sources de croissance économique.

Typologie des modèles de développement

- Les économies préindustrielles : Afrique subsaharienne, pays les moins avancés (PMA).

Ces pays sont caractérisés par la prépondérance d’un petit nombre de produits primaires d’exportation dont les prix internationaux sont fluctuants. Ainsi ce secteur dominant n’a pas d’effet positif sur le reste de l’économie. Le secteur manufacturier est donc peu développé.

Les économies préindustrielles subissent très lourdement les baisses de cours des matières premières, d’autant qu’elles ne mènent pas de politiques agricoles. Les technologies employées sont inadaptées et ne permettent pas de dégager de gains de productivité, elles expliquent les risques alimentaires persistants liés à l’accroissement démographique.

En général, leurs institutions gouvernementales ne sont pas efficaces.

- Les économies rentières : pays pétroliers et gaziers (Golfe persique, Nigeria, Gabon, Venezuela)

Le terme « rente pétrolière » est apparu avec les chocs pétroliers pour qualifier ces pays. (Rappel : l’économie du pétrole découle en fait de l’action des multinationales du secteur et des Etats disposant de ressources). On l’associe à une croissance sans développement : les pays subissent un dualisme fort du fait de la coexistence de l’industrie pétrolière et d’activités faiblement productives.

Les fluctuations des cours du pétrole n’ont pas permis à la richesse de se diffuser dans l’ensemble de l’économie : le contre choc débute dans les années 80. De plus, la rente pétrolière fournit des ressources qui ne sont pas toujours investies ou redistribuées de manière efficace. Ex : Iran ou Algérie.

Cependant certains pays cherchent à se diversifier et ne plus dépendre uniquement de la rente.

Ex : Venezuela et Indonésie

- Les économies à industrialisation « intravertie » : Amérique Latine (Argentine, Chili, Pérou), Afrique (Maroc, Egypte).

Cela regroupe les pays qui pratiquent la substitution aux importations. Ils mettent en place des pratiques protectionnistes afin de favoriser l’industrie lourde (ex : sidérurgie et pétrochimie) et l’industrie des biens de consommation durable (ex : automobile et électroménager).

Rôle de pilotage des Etats. Logique reposant sur le marché domestique puisqu’il n’y a pas de concurrence mondiale. Mais deux grandes limites :

D'une part, le financement de cette stratégie découle des exportations, d’où une forte dépendance aux termes de l’échange. Ex : crises mexicaine (1982), argentine (2002). D'autre part, le succès dépend de la demande domestique, celle-ci n’est pas toujours suffisante et les inégalités de revenu sont fortes.

- Les pays émergents : Mexique, Brésil et Inde.

Pays ayant développé une industrie manufacturière. Ils sont insérés dans l’économie mondiale à petite échelle (surtout par le biais de multinationales). On constate une intervention forte de l’Etat et de profondes inégalités sociales. Leur taille et leur population sont importantes.

- Les nouveaux pays industrialisés (NPI) : Taiwan, Hong Kong, Corée du Sud, Singapour, Malaisie, Thaïlande, Philippines

Pays à économies tayloriennes menant des stratégies de promotion des exportations avec une spécialisation dans les secteurs dynamiques de la division internationale du travail.

Au préalable, production de biens manufacturés simples (aide financière américaine et implantation de multinationales). Sous l’impulsion des Etats et des firmes, leur spécialisation a évolué rapidement vers des produits à haute valeur ajoutée. Ex : électronique.

Conclusion:

Rôle déterminant des institutions et de la géographie.

Rôle encore plus important de la politique. Ex : stratégies de développement socialistes



Références:

BAIROCH, Paul : Le Tiers monde dans l’impasse, Gallimard, 1970

BAIROCH, Paul : Victoires et déboires III, Gallimard, 1997

CHANG, Ha Joon : Bad Samaritans Rich Nations, poor policies and the threat to the developing world, Random House, 2007

COSANDEY, David : Le secret de l’Occident, Flammarion, 1997
[note du webmestre: référence inexacte. C'est en réalité Arléa 1997 et Flammarion 2007].

DE SOTO, Hernando : Le mystère du capital, Flammarion, 2000

DOCKES, Pierre & ROSIER, Bernard : L’Histoire ambiguë, Puf, 1988

LANDES, David : Richesse et pauvreté des Nations Pourquoi des riches ? Pourquoi des pauvres ?, Albin Michel, 1998

LATOUCHE, Serge : Faut-il refuser le développement ?, Puf, 1986

MARSEILLE, Jacques : Empire colonial et capitalisme français, Albin Michel, 1984

MAURO, Frédéric : L’Expansion européenne 1600-1870, Puf, 1996

NORTH, Douglass : Le processus de développement économique, Editions d’Organisation, 2005

POMERANZ, Kenneth : Une grande divergence, Albin Michel, 2000

RIST, Gilbert : Le développement Histoire d’une croyance occidentale, Presses de Sciences Po, 2007

ROSENBERG, Nathan & BIRDZELL, Luther : Comment l’occident s’est enrichi, Fayard, 1987

WAITES, Bernard : Europe and the Third World, McMillan, 1999





Créé: 09 mai 2013 – Derniers changements: 22 sept 2013